La plupart des rivières himalayennes prennent naissance vers 5000 m d’altitude sur le plateau tibétain. En une centaine de kilomètres, elles se retrouvent à 300 m d’altitude dans les plaines indiennes. Cette impressionnante descente se fait dans des gorges spectaculaires, les plus profondes, les plus inaccessibles du monde. Celui qui veut remonter aux sources des rivières himalayennes doit s’attendre à un voyage périlleux pour passer des étouffantes jungles tropicales aux neiges éternelles; traverser les brumes épaisses de la forêt des nuages pour accéder aux plateaux arides du versant tibétain. Suivre le parcours géographique des rivières himalayennes, c’est rendre compte de l’extraordinaire biodiversité d’une nature démesurée qui empile les étages écologiques du plus froid au plus chaud, passant aussi du plus aride au plus humide.

C’est aussi comprendre les défis auxquels les hommes ont dû faire face pour assurer leur survie et tirer profit de la présence de l’eau tout en se méfiant de ces rivières dangereuses qui creusent les ravines et peuvent tout emporter sur leur passage. Pour cela il a fallu apprendre à maîtriser l’eau. La genèse de ces paysages n’est pas connue dans le détail, mais l’histoire de la maîtrise de l’eau apparaît comme un tournant clé dans la colonisation de l’Himalaya. Sur le versant Nord, sec et à l’abri des pluies, l’irrigation a permis la sédentarisation des éleveurs et la colonisation des vallées les plus abritées. Sur le versant Sud, exposé aux caprices de la mousson, la maîtrise de la riziculture irriguée a permis une plus grande régularité des récoltes et par là-même une densification de l’occupation humaine. L’irrigation est une garantie efficace contre les périodes de sècheresse qui menacent les autres cultures uniquement soumises aux bienfaits des pluies.

Aujourd’hui, le randonneur  qui traverse les collines himalayennes, est frappé par l’importance de l’aménagement des pentes. Sur plusieurs centaines de mètres de dénivelé, les terrasses s’étagent en un escalier qui semble interminable. Chaque terrasse est destinée à réduire la pente et à diminuer les effets dévastateurs des averses qui, à chaque orage, menacent de tout emporter. Si la réalisation des terrasses est faite par la famille, le creusement et l’entretien d’un canal d’amenée d’eau, parfois de plusieurs kilomètres de long, nécessitent un travail collectif. Dans ces conditions, la participation aux travaux de tous les riziculteurs est nécessaire. C’est ce qui détermine le droit à l’eau.

Ainsi cette riziculture de montagne adoptée par tous, encouragée par le pouvoir central, implique des pratiques communautaires. Elles reflètent la cohésion d’un groupe humain même si cela n’exclut pas pour autant la lutte pour les meilleurs terrains que ce soit au sein du groupe ou entre les ethnies. Dans ces paysages grandioses et sauvages, le territoire cultivé apparaît comme un espace humanisé, savamment mis en valeur, régulièrement entretenu, manucuré par des milliers de mains. Ces terroirs agricoles suspendus sur des pentes invraisemblables reflètent l’audace, l’opiniâtreté des hommes mais aussi leur ingéniosité, leur savoir-faire pour maîtriser l’eau, clé essentielle de leur survie dans des environnements aussi hostiles.

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