L’eau est l’incarnation de l’idéal de pureté. L’eau du Toit du Monde, née des neiges éternelles et des sommets inaccessibles, est d’une pureté parfaite, divine. Tous les peuples de l’Himalaya, quelles que soient leurs croyances, vénèrent l’eau des montagnes. Tous pratiquent le pèlerinage à un lac, une source, une rivière ou une confluence. Malgré cet attachement universel à la pureté de l’eau, les hommes n’ont pas réussi à réaliser collectivement une gestion satisfaisante de cette ressource. Pénurie d’approvisionnement, insuffisance voire absence de traitement des eaux usées et des rejets industriels, pollution des rives devenues des décharges, la situation de l’eau dans les villes et bazars de l’Himalaya est souvent catastrophique. Ce paradoxe du comportement humain semble faire écho à l’ambivalence de l’eau : tour à tour généreuse, fécondante et nourricière mais aussi sauvage, ravageuse et meurtrière. L’eau alimente les rêves, mais nourrit aussi les cauchemars.

La chaîne himalayenne, fracturée de profondes gorges et de crêtes inaccessibles a conduit à un émiettement de la colonisation humaine. D’un bout à l’autre de la chaîne, les ethnies se comptent par dizaines. Chaque vallée, chaque village constitue une pièce unique de cette mosaïque humaine faite d’une grande diversité de visages, de langues, de costumes, de bijoux, de coutumes et de croyances… L’eau est une porte privilégiée pour mettre un peu d’ordre dans ce kaléidoscope humain déroutant.

Il y a ceux qui s’immergent entièrement dans l’eau. Ceux qui s’aspergent de quelques gouttes sur la tête et dans la bouche. Ceux dont les cendres, après la crémation, vont rejoindre un cours d’eau alors que d’autres les dispersent dans le vent… Ainsi l’eau peut être un élément qui permet de différencier deux grandes catégories de population : les hindouistes originaires des plaines et les bouddhistes venant des montagnes. C’est au sein des populations hindouistes que le rapport à l’eau est le plus complexe et le plus discriminatoire. Chaque individu, de par son appartenance à une caste, ne peut partager l’eau avec un membre d’une caste considérée comme moins pure. Cette obsession de la pureté conduit les membres d’une caste à ne partager l’eau qu’avec leurs seuls pairs.

Aujourd’hui, la vie moderne estompe ces clivages autour de la pureté mais multiplie les besoins et diversifie les usages de l’eau. Par les promesses de développement qu’elle suscite, l’eau est de plus en plus au cœur des préoccupations des populations himalayennes. Ces sociétés pluriethniques sont confrontées à un défi majeur : apprendre à gérer collectivement cette ressource précieuse et convoitée par tous. En effet, les intérêts contradictoires des grandes puissances régionales renforcent l’importance géostratégique de l’Himalaya, cet inestimable château d’Eau de l’Asie.

Commentaires:

  • André Pouchet

    22 mai 2019

    Après de très belles expos avec de magnifiques photos bien légendées, après le film lui aussi à la fois très beau par ses images et très riche par les explications qu’il prodigue, après le bouquin qui constitue un des joyaux de ma bibliothèque, voici maintenant le site.

    Eh bien le site est à la hauteur du reste, pratique et facile d’utilisation, d’une élégance sobre dans l’esthétique de sa présentation et permettant d’accéder à la substantifique moelle, le trésor photographique déjà rencontré et parcouru auparavant.

    Une bonne et belle action. Souhaitons qu’elle soit reconnue et appréciée par un très large public, car elle le mérite grandement.

    Merci à ceux qui l’ont réalisé.

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