L’eau sacrée
L’imaginaire himalayen est pétri de ce terreau chamanique bien antérieur aux religions « modernes » qui se sont par la suite épanouies en Himalaya. Bien que fort divers, les peuples de l’Himalaya, ont en commun un fond ancestral de valeurs et d’associations fondées sur leurs expériences du monde. La nuit et le jour, la terre et le ciel, l’eau et le feu, l’homme et la femme sont autant de paires alliant et opposant les principes masculin et féminin, facettes indissociables de la vie. Comme de nombreux peuples, ils pensent qu’à l’origine, les Eaux recouvraient la surface de la terre. C’est dans cette matrice première que serait né le monde. Masse indifférenciée, chaotique, l’eau de l’océan originel représente l’infini des possibles. Elle contient tout le devenir, toutes les promesses de développement. L’eau est l’élément fécondant, régénérateur par excellence. Symbole universel de fécondité et de fertilité, l’eau est associée à l’aspect maternel et féminin du monde, comme la lune et la nuit.
Les peuples himalayens partagent aussi une vision de l’organisation du monde divisée en trois étages : au-dessus de la tête, le ciel. C’est le royaume des dieux. L’étage intermédiaire, sur terre, est celui des hommes. Sous les pieds : c’est le domaine obscur des forces souterraines. Cette conception, quasi universelle, trouve en Himalaya un écho particulier. Ici, redressée à la verticale, la terre semble toucher le ciel. À mi-chemin entre le monde des humains et le ciel, les hautes montagnes constituent une terre sacrée. Ces hauts sommets, inaccessibles aux hommes, sont le domaine d’esprits puissants, bienveillants mais aussi redoutables. Les populations qui se sont installées au pied de ces géants de pierre l’ont fait avec beaucoup de crainte et de respect. Ces terres extrêmes sont propices à tous les merveilleux. Le paysage est habité par des forces surnaturelles qui se manifestent en autant de sommets majestueux, de lacs d’eau claire, de grottes cachées, de pierres magiques, de stalactites de glace et de flammes éternelles jaillissant du sol. De toutes ces manifestations divines, la plus précieuse est l’eau. C’est le plus beau cadeau des Esprits bienveillants qui nous entourent.
En pénétrant dans ces montagnes, hindouisme et bouddhisme ont dû composer avec les croyances ancestrales, les divinités associées au sol, les Ancêtres protecteurs des clans, les chamanes guérisseurs, capables de parler aux Esprits, de prévenir les sorts, de faire tomber la pluie. Dans les vallées himalayennes, les idées ont circulé avec les caravaniers, les colporteurs, les pèlerins qui ont toujours voyagé avec leurs histoires, leurs livres saints et leurs amulettes. Les peuples de l’Himalaya n’ont cessé de s’emprunter des divinités, de les renommer, de transformer les légendes, d’adapter les rites, créant au bout du compte une mosaïque d’interprétations, de liturgies, de syncrétismes qui défient les spécialistes. En Himalaya, il y a place pour tous les Dieux, tous les merveilleux. Mais la vénération des lacs d’eau pure de montagne est une valeur commune, universelle, un pont entre toutes les approches mystiques.